Tout récemment, dans des cours au Collège de France sur le thème de l'histoire de la croissance économique (1), l'économiste Philippe Aghion remettait en question la vision de Thomas Piketty sur l'accumulation du capital, qui, selon lui, ne résultait que d'une bulle immobilière. Je vais m'affairer ici à expliquer en détail le pourquoi du comment et critiquer la vision de Mr Aghion du sujet.
La théorie de Piketty
Piketty reconstitue le rapport Capital sur PIB (K/Y) depuis la seconde guerre mondiale en France. La méthode importe peu, mais il montre très bien que ce rapport ne cesse d'augmenter depuis la seconde guerre mondiale, pour atteindre des niveaux comparables à ceux d'avant la 1ère guerre mondiale. Il calcule également les différents composantes du capital (terre agricole, immobilier, machines divers) sur le PIB dans un autre graphique.
Voici la version de Philippe Aghion, que je vais utiliser pour m'éviter des explications supplémentaires, l'idée reste la même. N'ayant pas accès aux slides de son cours, il faudra se contenter de cette qualité immonde.
On voit très clairement que sur la période de l'après-guerre, ce ratio ne cesse de monter. Piketty explique cette montée du ration K/Y par le fait que la rémunération du capital (r) est supérieur au taux de croissance (g). Une grande partie de la rémunération du capitale est utilisée pour réinvestir, une part infime part dans la consommation directe selon Piketty. Ainsi, vu que le taux de croissance du numérateur (r) est supérieur au taux de croissance du dénominateur (g), le ratio est destiné à augmenter indéfiniment, et le capital sera toujours plus présent dans nos sociétés, avec le poids que cela donne aux héritages.
La critique de Philippe Aghion
En utilisant son graphique notamment et un autre ci-après, Philippe Aghion remet en question la vision de Piketty.
Sur ce graphique, il est comparé la croissance nominale de l'économie américaine (rouge) et le taux d'intérêt des T-bill à un an (les bons du trésor américain, bleu). Selon lui, r n'est en fait quasiment jamais supérieur à g, il utilise pour prouver ça le graphique, le taux d'intérêt des T-bill est en effet inférieur quasi tout le temps à g. également, en utilisant le premier graphique discriminant la valeur de chaque type de capital, on voit que seul le capital de type immobilier a augmenté en valeur, les autres types de capitaux sont restés à peu près à la même quantité (dans le ratio K/Y). Il en infère que cette montée de valeur de l'immobilier est dûe à une bulle immobilière en France, et que le capital n'augmente en fait pas plus vite que le PIB. (vu que l'augmentation de la valeur à cause de la bulle n'a pas de réel impact sur l'économie, l'immense majorité des propriétaires n'ayant que faire de la valeur de leur bien et utilisant leur bien immobilier pour ne pas payer de loyer, qui, eux, n'ont augmentés que modérément).
Ma réponse
Comparer r, le taux moyen de rémunération du Capital dans toute l'économie avec le taux d'intérêt des T-bonds, qui sont connus pour n'avoir aucun risque me semble peu approprié. les T-bonds étant par définition que très peu risqué, on peut considérer que le taux d'intérêt dans l'économie dans son ensemble (qui correspond à r, l'intérêt des uns étant les coûts des autres) sans risque est strictement supérieur au taux des T-bonds, sachant en plus que le taux augmentera plus vite que le risque réel, les humains étant averses au risques. Il faudrait calculer r plus précisément qu'avec ces mesures trop imparfaites pour venir à la moindre conclusion.
Également, même si Piketty aurait dû dans un monde idéal enlever le montant de la bulle immobilière de son calcul, en utilisant comme suggéré les loyers au lieu de la valeur de marché des biens, on peut supputer que la part de l'immobilier dans le capital total est effectivement entrain de monter, bulle mise à part. Les économies occidentales allant depuis des décennies vers toujours plus de services, on peut penser que les services utilisent plutôt de l'immobilier comme capital (magasins, sièges sociaux etc.) plutôt que des machines. Ainsi, même si la quantité totale d'immobilier en terme de m² n'a probablement pas explosé, l'équipement de ces biens semblent meilleur qu'avant (magasins rénovés, grandes vitrines, centres commerciaux). Cela mériterait évidemment de plus amples calculs ou de recherches, mais l'augmentation des surfaces commerciales par exemple me semble difficilement contestable.
Piketty aurait gagné à mettre dans son modèle l'innovation technologique qui à mon sens apporterait beaucoup, avec la notion de vague technologique et tout ce que cela apporte, mais ces vagues ne suffisent pas à cacher les lois du capitalisme hors croissance et innovation, qui, sauf auto-destruction de la planète par une catastrophe écologique, adviendra très probablement.
Je vous conseille tous également de regarder l'excellente série de cours de Mr Aghion sur l'histoire de la croissance économique. (disponible ici: http://www.college-de-france.fr/site/philippe-aghion/course-2018-10-02-14h00.htm )
(1) Histoire de la Croissance 4,Cours Donné au Collège de France, Philippe Aghion, 2018 (disponible à: http://podcastfichiers.college-de-france.fr/aghion-20181023.mp4 )
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