Y’a quelques temps, sur Mastodon j’ai vu un toot dont l’auteur s’interrogeait sur la perspective de créer un jeu de gestion s’éloignant du capitalisme. Du coup, j’ai d’mandé à quelques uns de mes compagnons de soirée de réfléchir à la question, afin qu’on en cause.
De là, j’ai relevé un certain nombre d’éléments qui m’ont permis d’essayer de construire une réflexion (plus ou moins bancale, à vous d’me dire), que j’expose ici.
Au delà de quelques blagues reposant sur mon supposé communisme et sur un folklore (plus ou moins proche de la réalité) lié à l’URSS, j’ai pu constater une certaine confusion entre système économique et système politique.
Système politique/système économique
M’faut donc replacer quelques éléments:
- Un système économique est un mode d’organisation permettant la création de biens et de services, ainsi que leur distribution au sein de la population.
- Un système politique, quant à lui, détermine l’organisation de l’état, et son rapport avec la population.
Bien sûr l’un et l’autre de ces éléments s’influencent et sont fortement intriqués (difficile d’imaginer un modèle communiste sans état, quand une organisation anarchiste pourrait aussi bien s’accommoder de capitalisme que d’autres modes de production), néanmoins, ces deux éléments ne sont pas strictement équivalents.
Replacer ces idées me paraît essentiel. En effet, dans la plupart des jeux de gestion connus, le “capitalisme” (système économique) autant que l’autoritarisme (système politique) sont prépondérants et peu (sinon jamais) remis en cause. Le joueur accumule des ressources, avec lesquelles il peut devenir plus puissant, marchande par l’intermédiaire d’échanges monétaires. Son autorité n’étant pas remise en cause directement par le jeu. Le joueur pourra toujours envoyer le péon collecter du bois au beau milieu d’un champ de bataille, celui-ci acceptera sans broncher.
Le joueur décide de l’allocation des ressources, mais pas du système économique ni de l’organisation politique dans lesquelles s’inscrivent ses actions. Il prend place dans un contexte qui légitime sa position de décideur, le système économique venant favoriser l’accumulation de ressources.
Le marché
Un autre point me semble nécessiter clarification: Pour qu’il y est capitalisme (ou libéralisme), il faut qu’il y est marché. Le marché constitue le lieu de rencontre entre l’offre (production) et la demande (consommation). C’est cette rencontre qui permettrait d’aboutir à un prix et qui, par là, déterminerait de l’allocation optimale des ressources (de manière plus ou moins magique mais là n’est pas le sujet).
Or, dans les jeux de gestion, le rôle principal du joueur consiste plus à directement allouer les ressources et leur production qu’à essayer par divers biais d’influencer un marché aux acteurs indépendants, disposant de leurs propres objectifs.
Ainsi, ce qui semble caractériser le jeu de gestion classique, serait plus l’autoritarisme et la planification de la production/consommation que le marché (et donc par là, le capitalisme et le libéralisme). En ce sens, le capitalisme apparent, latent, semble plus être un décor permettant au joueur occidentalisé de facilement prendre en main un univers de jeu et son fonctionnement qu’un réel mécanisme de gameplay. Il pose un ensemble de règles que le joueur connait par ailleurs. En venant de causer avec ma chère et tendre, un exemple assez parlant m’est venu: dans SimCity, pour créer des emplois (et donc générer des ressources récupérées sous forme de taxes), on propose à des entreprises de venir s’installer. Il serait parfaitement possible de créer un ersatz stalinien du jeu, dans lequel ces entreprises seraient remplacées par des camps de travail, ou des kolkhozes (histoire de tirer le trait), sans que ceci ne vienne modifier quoi que ce soit au fonctionnement interne du jeu.
La monnaie
Dans l’même sens, un capitalisme sous-jacent permet d’évacuer la question de la relation avec le reste du monde, et de faciliter l’échange avec celui-ci à travers la monnaie. Ressource universelle et acceptée de tous, la monnaie (qu’elle prenne la forme d’une réelle monnaie au sens moderne du terme, ou le nom d’une ressource particulière interchangeable) peut-être accumulée et échangée contre tous les autres éléments du jeu. Elle donne de la valeur aux items et celle-ci est conservée tout au long du jeu. L’existence d’un tel élément semble également être le point commun de la majeure partie des jeux de gestions.
Tenter un truc
Ainsi, pourrait-il être intéressant de s’extraire de tels éléments, pour essayer de développer de nouvelles mécaniques de valorisation et d’échange.
Le lien social
Le troc direct des matières premières paraît être une solution acceptable, mais c’est loin d’être la seule. On peut par exemple relever que certains anthropologues mettent en avant le principe de promesse comme moteur des échanges, la monnaie étant reléguée à des tractations extra-communautaires (la promesse permet, contrairement au troc direct de délayer les échanges, en conservant relativement bien la valeur) . Le lien social et la confiance (ou son absence) entre les individus permettant de fluidifier et d’assurer les échanges. Cette confiance, la cohésion de la société pourraient ainsi devenir des éléments de gameplay à part entière.
La place du joueur
Dans le même sens, cette question du lien social et de la confiance pourrait s’appliquer au dirigeant, au joueur. Ainsi, sa position pourrait être remise en cause suite à de mauvais résultats à travers une mécanique de niveau de crédit. Autre perspective, le joueur pourrait être un péon comme les autres qui, à travers ses relations avec ses paires peut chercher à atteindre ses objectifs (dans une optique plus anar).
Cette dernière approche pourrait présenter l’avantage de remettre en perspective les motivations derrière la production. Si le producteur de ressource n’est plus un simple opérateur mais une entité à priori au même niveau que le joueur, qu’est ce qui le pousse à produire ? Et éventuellement, produire plus que ce que sa propre existence nécessite ? En maintenant une certaine division du travail, spécialisation des individus dans tel ou tel domaine, leur survie dépend de celle de la société. Le boucher peut difficilement vivre sans pain, et le boulanger doit également varier ses sources de nourriture. On pousse ainsi chaque individu à entretenir ses relations directes avec ses pairs, tandis que dans le même temps on limite l’accumulation de richesses en à travers l’absence de monnaie. Dans un tel cadre le producteur produit autant pour lui que pour la communauté.
Limites et contournement
La limite évidente d’un tel système consiste en l’échelle de population. Plus la population augmente plus il devient difficile d’entretenir du lien entre chaque individu, et, étant donné l’absence de marché, l’échange sans lien social est complexe. Une possibilité du gestion du nombre réside dans la scission. Quand le groupe devient trop gros pour maintenir une bonne cohésion, il se divise. Les deux groupes ainsi formés pouvant eux-même entretenir des relations d’échange.
Autrement, il est possible qu’à partir d’une certaine échelle, une planification soit nécessaire, en évitant toute fois de tomber dans le piège du productivisme.
Dans un système à marché, le prix, à travers la rencontre de l’offre et de la demande permet de réguler les échanges et par là, la production et la consommation. Ici, le marché étant absent, il est nécessaire de s’y substituer pour organiser la production de façon à ce qu’on ne produise toujours que l’exact nécessaire à la demande. L’enjeu résidant ici dans la nécessité de correctement estimer la demande en temps réel et d’adapter l’appareil productif en fonction de ses évolutions. Le joueur pouvant ici occuper la place de cet appareil d’organisation, de planification.
Conclusion
Pour résumer, j’ai l’impression que le capitalisme et ses caractéristiques relèvent plus de la facilité et du décor de fond des jeux de gestion que de la caractéristique intrinsèque à ceux-ci. En revanche, tous placent le joueur dans une position de décideur au dessus d’opérateurs réalisant ses ordres. Il apparaîtrait que le vrai défi consiste plus à créer des règles de jeu de gestion qui ne placent pas d’office le joueur dans une position d’être presque d’omniscient/omnipotent, de replacer le joueur au niveau des entités qu’il gère/cherche à gérer. Le challenge pour le joueur demeure dans sa capacité à faire vivre sa société sans avoir tout pouvoir sur elle.
Je pense avoir présenté ici quelques pistes d’exploration, visant à créer un jeu de gestion basé sur de nouvelles mécaniques, remplacer le capitalisme pour un autre système productiviste revenant à simplement changer de contexte. Je ferais peut être une suite à ce bousin, et je suis aussi ouvert à l’implémentation de ces idées !
Accessoirement, j’ai conscience d’avoir grossièrement résumé quelques trucs, et d’avoir touché du doigt quelques approches “anarchistes” (municipalisme libertaire par exemple). J’suis pas un érudit, et j’ai pas vraiment tendance à apprécier la masturbation intellectuelle gauchiste, l’objectif ici est plus d’essayer de trouver des alternatives au jeu de gestion classique que de sensibiliser qui que ce soit aux écrits rouges.
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