Ironsworn/Starforged de Shawn Tomkin, deux jeux de quêtes épiques jouables aussi bien en solo, en coop ou avec un·e MJ
Exemple de Partie
Le podcast Ask the Oracle, de l’auteur et son fils.
Description :
Ironsworn propose de jouer un·e aventurier·e assez solitaire, parcourant des terres hostiles pour accomplir des quêtes épiques, dans une ambiance médiévale plutôt low-fantasy. Ironsworn : Starforged (simplement Starforged dans la suite) vous invite à parcourir une lointaine galaxie, y rencontrer des personnes importantes, découvrir des lieux extraordinaires, toujours afin d’accomplir de grandes quêtes.
Mais l’originalité principale de ces deux jeux est qu’ils sont construits pour êtes jouables aussi bien seul·e qu’en groupe, avec ou sans MJ. Pour cela, ils s’appuient d’une part sur le système des Manoeuvres des PbtA (voir ici si vous ne connaissez pas, article en anglais), qui permettent d’ancrer les actions des personnages dans la fiction et fluidifier la narration ; d’autre part sur de nombreuses tables aléatoires avec différents niveaux d’abstraction en fonction du besoin. Il est par exemple possible de tirer aléatoirement une “action” (un verbe) et un “thème” (un objet/un concept) pour donner du grain à moudre à l’imagination.
Pourquoi j’aime :
Ce qui m’attire avant tout avec Ironsworn et Starforged, c’est à quel point ils aident à créer des histoires immersives. Je pense que c’est dû à deux choses principalement. D’abord, ce sont des “JdR de genre” (par analogie au cinéma de genre), avec Ironsworn plutôt centré autour du récit épique, (pensez aussi bien sagas nordiques que récits arthuriens), et Starforged autour d’un space-opéra à échelle humaine (pensez Cowboy-Bebop et Firefly plutôt que Star Trek). Et ils sont tous deux bons pour raconter leur genre d’histoire. J’oserais même dire que c’est Starforged qui m’a fait aimer la Science-Fiction en JdR, ou en tout cas comprendre qu’il y avait aussi des choses que je pouvais aimer dans la SF.
D’autre part, la foultitude de tables aléatoires, si intimidantes qu’elle puisse être au début, aide énormément le travail de l’imagination. Il ne faut pas les visualiser comme les listes d’ennemis ou d’effets de malédiction possibles qu’on trouve dans certains jeux (ce que j’appelle des listes de courses, très pratiques quand on sait ce qu’on cherche, mais qui ne font pas rêver), elles sont au contraire abstraites et laissent de la place à l’interprétation.
Un exemple au hasard (pour de vrai) : je cherche des idées pour pimenter un peu un voyage, je me demande ce que mon personnage va rencontrer. Je lance deux D100, l’un sur la table “Action” et l’autre sur la table “Thème”, j’obtiens “Saisir” et “Passage”. La première chose qui me vient à l’esprit, c’est que le chemin que je voulais emprunter est bloqué de force, contrôlé. Mais par quoi ? Péage ? Bandits ? Armée en route ? Si rien de cela ne me convient, je peux penser que quelque chose d’autre a été saisi sur ce chemin. Une voleuse en fuite ? Un allié qui venait m’alerter de quelque chose ? Mon choix dépendra de ce que mon personnage a fait, veut faire, sait du monde, mais aussi de ce qui m’intéresse comme option. Et encore, on peut s’amuser à rajouter des adverbes : saisi par un passage : une crue ? Saisi malgré un passage : un village assiégé ? Saisi pour un passage : un artefact magique ouvrant la porte entre les mondes ? Bon, là mon imagination s’est un peu emballée, mais c’est simplement pour montrer comment cette idée simple (avoir des tables aléatoires de mots abstraits) permet d’avoir des résultats qui ne sont pas de simples contraintes narratives, mais de vraies opportunités pour l’imagination.
Une autre chose que j’aime beaucoup dans ces jeux, est à quel point il est agréable d’en être MJ. Ça peut paraître paradoxal, pour des jeux connus (et reconnus) pour le solo et la coop, mais c’est au contraire complètement lié. En effet, c’est parce que ces jeux donnent beaucoup de façon aux joueureuses de décider directement des conséquences de leurs actions que le rôle de MJ s’en trouve fortement allégé. Iel a donc pour but principal d’assurer le rythme de la partie, et d’aider à trancher dans les prises de décisions, et beaucoup moins de gérer le scénario. L’agentivité des joueureuses étant assurée par le système, leur attention ne se tourne vers lae MJ que quand c’est utile, et non simplement par défaut, ce qui rend les interactions, dans mon expérience en tout cas, de meilleure qualité, parce que beaucoup moins asymétriques.
Les limites :
Il faut reconnaître que faire un système de jeu qui permette à la fois le jeu solo, qui est quelque chose d’assez particulier, et du jeu avec MJ, et puis aussi sans MJ tant qu’on y est, est un pari risqué. Risque de faire une foultitude inexploitable de sous-systèmes permettant de s’adapter à chaque situation, risque d’avoir au contraire des règles trop générales demandant un grand effort d’adaptation des joueureuses, etc. Mais Ironsworn et Starforged relèvent le défi, à mon avis, sans tomber dans ces écueils. Je ne peux, en toute honnêteté, pas trouver de défauts sur le fond.
Leur principale limite est peut-être à trouver dans la forme. En effet, le besoin d’avoir des Manoeuvres plus détaillées (pour aider à la prise de décision) et plus nombreuses (pour pouvoir plus régulièrement s’appuyer sur elles), ainsi que le nombre assez colossal de tables aléatoires (notamment dans Starforged) rendent le premier contact avec ces jeux quelque peu impressionnant. Rien d’insurmontable, bien sûr, surtout pour les rôlistes habitué·e·s aux manuels de règles de 250 pages, mais il n’empêche que la première lecture peut être intimidante.
Pour éviter ce problème, on ne peut déjà que louer la mise en page du jeu, qui est très lisible dans Ironsworn, et, avec le concours d’un certain nombre d’artistes au talent incroyable, époustouflante dans Starforged. Ce qui est important est facilement accessible, les points complexes sont détaillés avec des exemples clairs et précis, enfin bref, on n’a pas l’impression de perdre son temps à rien comprendre.
Ensuite, le fait que le jeu se prête bien au mode avec MJ permet de facilement découvrir ou faire découvrir ce système. Et en plus, même une partie avec MJ peut ressembler beaucoup à une partie en coop, les joueureuses prenant autant que possible toutes les décisions narratives, et lae MJ n’intervenant que pour aider à la prise de décision ou gérer le temps. Il est donc assez facile de faire une petite séance avec un·e MJ, et être tout à fait prêt·e à partir en coop, voire en solo juste après.
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