Système utilisé : Bois-Saule de Thomas Munier, ressenti personnel
Ceci est l’histoire, écrite au jour le jour à l’aide du système de jeu de rôle solo Bois-Saule, d’un monstre en lien avec le roman feuilleton La Folie Pourpre que je suis en train d’écrire.
Les informations au début de chaque jour correspondent aux contraintes narratives obtenues grâce à Bois-Saule.
Contenu sensible : Violence, Meurtre, Mutilation
Description/Commencement :
Je marche, je rampe, je traîne mon horrible carcasse dans cette boue puante, comme un ver misérable et épuisé. Manger, ramper, manger encore. Voila tout ce qui m’anime. J’ai froid, j’ai faim. J’ai peur. Je ne connais plus que la peur, depuis que je vis la nuit dans cette forêt.
J’ai faim. Mes doigts noirs sont des griffes dont je lacère tous les êtres vivants que je croise. Ma peau est une écorce sèche, dure, froide. Je me fonds dans cette boue qui m’a vu naître. Je m’y nourris d’insectes et de racines. Je crois. Je ne me rappelle pas de tout ce que je fais, ni de tout ce que je vois, encore moins de tout ce que je mange. Je ne me rappelle que du froid. Et de la faim.
Jour 1 : Un Bunker – grasse-nuit – Le vent – Un trouble mental – Horla – Cerf/Biche/Faon – Péripétie (progression, un être proche perd la vie)
Le vent fait craquer cette vieille cabane branlante. Je me colle aux planches vermoulues et froides, cherchant à oublier les rêves que la nuit m’apporte. Je me recroqueville, les mains sèches serrant mes genoux contre mes côtes saillantes, les yeux exorbités fixant dans l’obscurité moite et inconnue. Encore longtemps avant le lever du soleil. Je ne sais plus compter les heures, mais je reconnais toujours l’ombre de la nuit noire de celle qui précède le matin.
Un craquement me pétrifie sur place. Ça venait de l’extérieur. Ça y est la Bête est là, j’imagine déjà ses griffes racler contre ma peau, ses yeux boire mon âme et ses crocs me déchiqueter. Un nouveau craquement sec. Plus aucun doute, ce soir c’est ma fin. Je me relève doucement, tremblant de tous mes membres. J’entends la respiration rauque de la bête s’approcher comme si elle était déjà sur ma nuque, son haleine chaude m’emplit les narines.
Un craquement. Tout près de moi. J’oublie tout, la peur la douleur la nuit et je me rue vers le bruit en hurlant de toutes mes forces. Je cours à l’aveugle, je bondis instinctivement et je rentre dans la Bête de tout mon poids, je sens sa fourrure chaude sous mes doigts et son corps puissant se débattre avec rage. Chacun cherche à dévorer l’autre, à griffer, à mordre, à tuer. Notre lutte fait un vacarme infernal et déjà je sens la douleur de ses crocs qui percent ma chair et fait couler le sang sur les lambeaux de mes vêtements.
Je redouble de rage, de force, mes griffes, mes pieds, mes dents, tout s’accroche à la bête qui crie de surprise et rue en arrière. Je tiens bon, à l’aveugle je trouve son cou et m’y accroche du bouts des griffes. Secoué en tous sens, je sens à nouveau les crocs et les griffes déchirer mon dos, s’enfoncer profondément entre mes côtes, mais je me sers de cette douleur pour me donner la force de me tirer en avant et mordre dans les poils, la peau, la gorge de la Bête.
Je sens son sang chaud et salé remplir ma bouche, je sens des cartilages céder, je sens sa respiration haletante passer entre mes dents alors je serre, je serre, je serre.
Les derniers soubresauts remplissent mes narines de sang et me jettent à terre mais la Bête est déjà morte, s’effondrant dans une mare de sang chaud qui s’étend encore et dans laquelle je me recroqueville, épuisé. Vidé.
Puis le souvenir me heurte de plein fouet. Je me vois, comme à chaque fois que je tue la Bête, je me vois et c’est moi le chasseur mais ce jour-là j’ai décidé d’épargner ce petit faon parce qu’il avait des yeux si doux et il m’a rappelé ma peur par la peur qui était dans ses yeux alors je me suis vu dans ses yeux mais le chasseur c’était moi et aujourd’hui je viens de tuer le cerf que le petit faon était devenu parce qu’aujourd’hui la Bête c’était ce cerf.
Alors je dors enfin, réchauffé par la mare du sang du cerf et par son corps encore chaud qui refroidit à côté de moi. Alors je ferme les yeux avec force parce qu’après ça je sais qu’il n’y aura pas de rêve.
Jour 2 :
Un futur imaginé – crépuscule – Le brouillard – la Faim – Forêt – feuilles mortes/épines – introspection (croyance et désappointement)
Les ombres des arbres qui m’entourent s’étirent à mesure que le soleil se couche. Je trébuche sur le réseau sans fin de racines, rendues gigantesques et furieusement tortueuses par les ombres. Je trébuche encore, tombe de tout mon long et heurte un tronc avec violence, mon crâne résonnant de douleur.
Ma vision s’embrume un peu des larmes que la douleur invoque, puis un vrai brouillard se lève autour de moi, avec la fraîcheur de la nuit qui arrive. La masse blanche et progressivement plus dense s’étend et se rapproche, menaçante, terrifiante, tendant ses griffes de brume vers moi alors que je recule me recroqueviller désespérément dans un tas de feuilles mortes qui crissent sous mes pieds et mes mains.
Le brouillard s’épaissit et m’enveloppe, il me glace, il me saisit jusqu’aux os et vient me rappeler la faim qui me tenaille, qui contracte mon estomac alors que je m’enfonce entre les racines, pour m’éloigner de ce brouillard qui me saisit tout entier. Sans succès.
Alors des formes plus denses, plus visibles, apparaissent dans cette mer de pâleur et dansent devant mes yeux, envoûtantes, enivrantes…rassurantes ?
Je vois des êtres, des formes presque humaines mais plus humaines que moi, me tendre la main, j’entends leurs voix humides m’appeler, me rassurer, tandis que leurs mains de brume me traversent et disparaissent. Ces êtres prennent toujours plus forme, je distingue leur corpulence et leurs vêtements, je remarque qu’une d’entre elles porte une sorte de masque avec des cornes de cerfs, des cornes en brume, qui s’agitent quand elle chante et qui dansent avec elle.
Je sens une main de gouttes d’eau me prendre ma main de chair, je sens des doigts caresser mes doigts et me montrer que mes griffes ne sont plus là, me montrer que je suis à nouveau aussi humain que ces formes qui m’appellent encore et qui dansent et qui sont faites de brouillard mais pourtant sont plus humaines que la Bête qui me suit et que je suis.
Soudain je vois les formes de brouillard se figer et pousser de longs cris que je suis le seul à entendre mais qui résonnent dans l’écorce et les feuilles mortes où je me recroqueville pour boucher mes oreilles cacher mes yeux et espérer, espérer que ça s’arrête.
J’entends alors enfin une dernière phrase qui m’appelle, qui me dit de revenir alors qu’il est déjà trop tard, je le sais, la Bête me suit et si je reviens elle me verra me trouvera et me tuera alors je repousse les formes de brouillard qui déjà disparaissent et je continue de fuir, de chasser la Bête en retour et de manger parce que j’ai faim.
Jour 3 :
Endroit familier – presque nuit – Tempête – Insécurité – Égrégore – Arbre/Souche/Tronc – Exploration (si horrible que la raison vacille → changement tentant, mais dramatique si cède)
Je peine à avancer sous cette pluie qui s’abat sur moi comme le couvercle d’un cercueil, me poussant sous terre, me forçant presque à ramper, dans l’obscurité qui suit le crépuscule. J’entends l’orage gronder, terrible, tandis que les éclaboussures de la pluie me remplissent les yeux, les oreilles, le nez, m’aveuglant et m’asphyxiant. Un instant, j’ai peur d’être en train de me noyer, d’être tombé à l’eau tellement la pluie semble être partout, au-dessus au-dessous à l’intérieur, jusqu’aux os.
Puis je glisse et m’étale dans la boue et le froid soudain et la terre dure sous mon corps me rappellent que je suis encore là. Alors je lève les yeux et je ne vois rien à travers la boue et la pluie et je tâte avec mes mains devant moi et je sens un arbre, l’écorce sèche et rêche. Je m’essuie les yeux pour voir devant moi et je vois un tronc, un tronc assez haut mais qui n’a plus de branches parce qu’il a été touché par la foudre il y a longtemps. Je ne sais plus comment je sais ça ou qui me l’a dit mais je me rappelle que je suis déjà venu ici et je n’étais pas seul mais j’ai oublié son visage et je n’arrive pas à entendre sa voix par-dessus le torrent de pluie et les grondements de l’orage, pourtant je sais que je suis déjà venu et on m’a dit que cet arbre était là depuis longtemps et qu’il était important mais dangereux, parfois, alors je ne devais pas y aller seul parce que je ne savais pas quand il était dangereux et quand il nous laissait approcher.
Un doute arrive à se faire une chemin dans mon esprit embourbé : est-ce que l’arbre foudroyé va comprendre que je suis là par hasard et que c’est la pluie qui m’a amené ici, que je ne lui veux aucun mal ni rien du tout d’autre, mais est-ce que la pluie ne m’a pas mené ici exprès justement, soit pour me perdre soit parce que l’arbre foudroyé lui a demandé ?
Je regarde le tronc abîmé et si vieux à travers le rideau de pluie, je vois les nombreux trous d’insectes et d’oiseaux puis tout à coup comme un mouvement, comme si les nœuds du bois avaient bougé et soudain c’est toute l’écorce qui semble remuer et un visage s’y dessine, chaque trou et chaque nœud prend un sens nouveau c’est un visage qui se réveille et me regarde du haut de l’arbre foudroyé.
L’arbre me regarde, des trombes d’eau ruissellent sur ses sourcils de mousse et le long de ses joues d’écorce et je vois qu’il voit mes souvenirs en moi qu’il sait qui je suis qui j’ai été et qui j’ai tué et alors il pousse comme un long hurlement, ouvrant sa gueule de liège et de sève où des griffes d’écorce se projettent vers l’extérieur comme un tas grouillant d’insectes qui m’appellent à travers le cri.
Irrésistiblement je tends ma main vers cette bouche béante et griffue qui m’appelle et me promets de choses que je ne comprends pas pendant que le tonnerre et le cri de l’arbre foudroyé se mélangent dans mes oreilles. Quand je touche l’écorce froide je la sens qui m’aspire et m’empêche de repartir avec ses griffes et je comprends qu’elle aspire mes souvenirs mes erreurs mes crimes ma peine et qu’elle me fait ce cadeau parce qu’autrefois j’ai bien écouté quand on me disait que l’arbre foudroyé était important.
Le sentiment de succion par la paume de ma main continue et je sens mon esprit se déliter, perdre pied dans les méandres de mes souvenirs qui s’effacent et de ceux qui restent, de mes certitudes qui s’adoucissent et qui plient et qui cassent.
Alors je sens le contact avec le tronc s’estomper et le cri assourdissant que je n’entendais presque plus par derrière le torrent de pluie s’arrête et c’est son silence qui me frappe puis le visage de l’arbre lui-même disparaît. L’écorce me rend ma main en ayant gardé mes souvenirs, mais avant que j’ai le temps de me sentir vide de l’absence de ces souvenirs je rapproche mes doigts de mon visage pour essuyer mes yeux plein d’eau et je vois qu’ils sont pétrifiés, noircis, carbonisés, et déjà en train de se dissoudre dans l’eau.
Je vois mes doigts disparaître devant mes yeux et impuissant j’approche mon autre main mais je n’ose pas toucher, j’ai trop peur de la douleur, des conséquences, de la contagion, et toujours mes doigts lentement s’érodent dans la pluie jusqu’à ce qu’il ne me reste que le pouce et une phalange de chaque autre doigt à la main droite.
Et dans la terreur qui me remplit vient s’empêtrer un des seuls souvenirs qui me restent, la seule autre certitude que la faim et la peur, ce visage que je voudrais oublier, cette expression terrifiée et ces yeux tristes qui me regardent avec horreur, ce que j’aurais vraiment voulu oublier mais qui reste parce que l’arbre ne pouvait pas tout prendre. Puis la foudre tombe encore, tout près, et le tonnerre qui explose aussitôt fait voler en éclat tout reste de conscience. Je m’effondre, tenant ma main droite dans ma gauche et la sentant tout près de mon cœur, mon cœur si vide maintenant que tant de souvenirs manquent et si douloureux avec ce souvenir qui reste et m’emporte dans les cauchemars.
Jour 4 :
Usine à l’abandon – presque nuit – Silence – Faim – Ruine – Mouches/Papillons/Fourmis – Péripétie (récompense ou trésor → Horla naît des pensées)
La nuit vient de tomber quand je sors de la forêt dans une large plaine inconnue. Le sol est encore chaud de la chaleur de la journée et quand je m’éloigne de la forêt et de sa vie ce que j’entends en premier c’est le silence. Pas un oiseau, pas d’animaux nocturnes, juste la profondeur et la pesanteur absolues de la nuit qui recouvrent le monde.
Je poursuis mon chemin au hasard, éclairé par quelques étoiles, poussé par la faim qui me fait un creux dans le ventre et qui me fait avancer, continuer sans savoir où je vais ou si je vais quelque part. Une silhouette sombre se détache sur la plaine et cache une partie de l’horizon alors comme j’aime ce silence nouveau et que la forêt est derrière moi je vais vers la forme sombre, je me mets même à trottiner parce que quelque chose dans ma tête me dit que c’est là que je dois aller et vite, vite, avant qu’il ne soit trop tard.
Quand je me rapproche la silhouette devient la vieille ruine d’un moulin à vent dont les ailes sont transpercées de trous qui laissent voir les étoiles au travers mais il y a encore le corps du moulin qui se dresse dans la plaine dans le silence et dans la nuit. J’entre à l’intérieur parce qu’il y a toujours cette voix qui me dit que là-dedans je pourrai trouver à manger et je pousse la vieille porte de bois avec mon épaule.
L’intérieur est très sombre, malgré le toit qui n’a plus de tuiles et un pan du mur qui s’est effondré, malgré ça il fait noir alors je tâte autour de moi, je renifle les odeurs de poussière, j’écoute le silence dans le moulin. Je sens l’ancien mécanisme, les engrenages la meule et le versoir pour remplir les sacs mais il n’y a plus de sacs, plus de farine, seulement quelques vieux grains de céréales déjà germés que je porte à ma bouche et qui disparaissent en moi alors que j’ai encore faim et qu’il n’y a déjà plus d’autres grains.
Puis je sens les barreaux de l’échelle qui monte à l’étage, je ne sais pas comment mais je sais que c’est là qu’on entrepose les sacs et qu’on répare le moulin quand ça grince quand ça crisse quand ça bloque. Je monte lentement dans le silence et le noir, j’entends le bois craquer doucement mes pieds frotter contre le bois et mon cœur battre dans mes oreilles parce que dehors c’est le silence.
Tout à coup, j’entends au-dessus de moi un petit bruit, un frottement ou un bruissement je ne sais pas, je m’arrête et j’écoute et je sens quelque chose me caresser le visage et s’éloigner alors je tends la main et je sens dedans un papillon de nuit se débattre avec ses ailes qui me chatouillent la paume mais je ne le lâche pas et je le sens, le renifle mais il ne sent rien. Je me rappelle que j’ai faim mais je n’ai jamais aimé les papillons ça chatouille dans la bouche et ça ne nourrit pas alors je rouvre la main et continue à monter à l’échelle en entendant les barreaux craquer et le papillon voler silencieusement.
J’entends à nouveau le bruissement au-dessus de moi et ça ne vient pas du papillon ni du vent dans les ailes du moulin, je finis de monter l’échelle et je reste très très calme, écoutant par-dessus le bruit de mon cœur et regardant vers les étoiles que je vois à travers la charpente nue du moulin. Je vois enfin une forme cacher très rapidement les étoiles avec un bruissement et passer pas loin de moi, si j’avais été plus rapide je l’aurais attrapée mais à nouveau je ne la vois plus et le silence n’est rempli que de ma respiration et des battements de mon cœur.
À nouveau un bruissement et un éclair d’ombre mais cette fois-ci j’étais prêt et je tends mon bras ma main et mes griffes à toute vitesse et j’attrape l’ombre au vol. Je tiens la chauve-souris de toutes mes forces alors qu’elle se met à crier et se débattre mais elle ne chatouille pas et j’ai plus faim qu’elle ne me fait mal donc je la tiens et l’approche de mon visage. Elle se tétanise, épuisée de se débattre, je la porte à ma bouche, mes crocs brisent son cou et déchirent sa peau, je sens le peu de chair réchauffer ma gorge. J’arrache les deux ailes parce qu’avec je pourrais m’étouffer puis je croque son corps tout entier parce que j’ai faim donc je ne veux pas attendre.
Les poils, les muscles, le sang, le tripes, les os, tout se mélange et tout se brise sous mes crocs. Quand ça atteint mon estomac, le souvenir qui me heurte est noir, rempli de bruits et d’odeurs mais la chauve-souris était jeune alors le souvenir n’est pas très fort et maintenant j’ai moins faim.
Alors je me redresse et j’étends mes ailes et je saute pour descendre de l’étage mais je ne sais pas encore voler alors je sens l’impact du plancher vibrer dans tous mes muscles et mes os et je sens mes ailes être déchiquetées par les barreaux de l’échelle quand je la heurte. Je crache du sang, le mien et celui de la chauve-souris puis je rampe je marche je cours vers la sortie et à travers la plaine en sachant que la Bête va être attirée par le sang et elle va venir dans le moulin et l’occuper et je ne pourrai plus y retourner.
Jour 5 :
Une aberration organique – Noire nuit – climat étrange – Manque causé par l’oubli – Égrégore – Fleurs/pétales – Introspection (Question/certitude -> Remords)
Je suis allongé dans une clairière, le vent fait pleuvoir des feuilles mortes. Pour une fois, il fait jour. J’ai mangé, je ne me rappelle pas quoi. Je n’ai pas encore froid, ni soif. Mais j’ai mal. Mal à mes doigts absents sur ma main droite. Mal à ma mémoire vide. Mal à mes ailes déchirées à mes crocs ébréchés à mes griffes élimées à mes membres épuisés. Mal mais pourtant je suis en vie et je sens mon cœur qui bat, qui continue de faire ce pour quoi il est là.
Et moi, pourquoi je suis là ? Pour quoi ? Le vent autour de moi et la douleur n’empêche pas mon esprit d’être beaucoup plus clair que d’habitude, beaucoup trop clair. Je tourne la tête et je vois des fleurs tardives et les fleurs me rappellent le parfum et le parfum me rappelle le visage et le visage me rappelle la souffrance d’avoir oublié le nom de ce visage. Sous le visage il y a une fleur mais je ne sais pas laquelle ni pourquoi elle est là ni le nom du visage au-dessus de la fleur et ma main me fait mal, mal, mal, presque autant que l’oubli.
Pour oublier ma main je suis le visage je vais là où il m’emmène, je regarde ses lèvres parler mais je ne comprends plus ce qu’elles disent, peut-être qu’elles m’appellent, qu’elles me disent qui je suis alors que maintenant j’ai oublié et je n’arrive pas à comprendre quand le visage me le dit.
Une feuille morte atterrit sur mon visage et une autre sur ma main et l’éclair qui traverse la main me transperce et me fait hurler si fort que le visage dont j’ai oublié le nom hurle aussi en crachant et en sifflant vers moi. Et le visage m’insulte et devient rouge de colère mais les yeux sont écarquillés de peur et je ne comprends toujours pas ce qu’il me dit jusqu’à ce qu’il prononce le dernier mot dont je me rappelle et qui me gifle les oreilles, la mémoire, la conscience, le mot qui devient plus douloureux que la douleur dans ma main.
Et je sens des larmes couler le long de mes joues et ruisseler sur le visage qui maintenant a plus peur qu’il n’est en colère mais ce n’est déjà plus le même visage, je ne me rappelle pas non plus de son nom mais il est important aussi et mes larmes coulent et je voudrais supplier mais je ne connais plus les mots je ne connais plus que le mot et quand je le dis c’est pour poser la question est-ce que je suis vraiment devenu le mot est-ce qu’il n’y a plus rien d’autre est-ce que dans mes souvenirs je ne peux pas trouver d’autres mots pour être ceux-là ?
Alors mes souvenirs déferlent comme les feuilles mortes qui tourbillonnent et ces souvenirs sont muets, sourds, ils hurlent mais ne connaissent pas de mots, ils ne connaissent que la violence et la peur et la faim et la soif. Aucun autre mot ne se trouve dans ma mémoire alors je repousse le visage de ma main difforme et son dernier cri résonne du dernier mot qui remplit mes oreilles mes larmes mon cœur et ma vie.
Monstre.
Jour 6 :
Un Cauchemar – Grasse nuit – Tempête – Soif – Ruine – Mille-pattes/Serpent – Exploration (Ce que tu découvres doit être scellé)
Je ferme les yeux en m’abandonnant à la nuit, la bouche sèche et les membres endoloris.
Quand je me réveille dans cet autre monde, celui où le paysage change quand je ne le regarde pas et où tout paraît plus proche mais disparaît quand on le touche, j’ai encore la langue pâteuse alors je cherche à boire, de l’eau, de la mousse ou du sang, peu importe si je peux le boire. Alors j’avance, lentement, à tâtons, en sachant que je ne me déplace pas vraiment même si bientôt je vais aussi oublier ça et j’aurai l’impression que tout est réel et peut-être que j’oublierai de revenir dans l’autre monde mais pour l’instant je marche en cherchant à boire tandis qu’autour de moi commence à se dessiner un village, des habitations, je ne les regarde pas trop fort parce que j’ai peur qu’elles disparaissent ou qu’elles changent ou que je les reconnaisse.
Enfin je le vois, comme si j’avais su qu’il serait là alors que je ne connais pas cet endroit, enfin je vois cette chose dont j’ai oublié le nom mais on les construit, c’est solide c’est profond et il y a de l’eau dedans, alors je m’en approche, je ne cligne pas des yeux sinon il ne sera plus là et il n’y a personne dans le village mais je me penche vers là où il y a de l’eau, par-dessus le petit mur de pierre. Je vois l’eau, là, en bas, et je tends la main pour l’atteindre, je tends, je me penche, je tends et d’un coup mes pieds ne touchent plus le sol et je tombe, je tombe, je tombe, les pierres m’entourent alors qu’elles montent à toute vitesse autour de moi mais l’eau descend en même temps que moi puis elle disparaît et il fait noir.
Je ne tombe plus. J’ai toujours soif. Autour de moi sont les ruines d’une ancienne ville. Je ne vois pas le ciel alors je me dis que je dois vraiment être tombé sous terre et je commence à trembler de froid et de peur parce que je ne sais pas si je pourrais remonter. Je ne vois pas le ciel mais il ne fait pas noir parce qu’une sorte de lueur rouge éclaire les ruines comme si elles étaient encore en flamme.
J’avance entre les maisons détruites que la végétation recouvre déjà dans un réseau de lierre, de fougères et de ronces. Je ne reconnais rien et je ne sais pas lire ce qu’annoncent les panneaux, qu’ils soient encore debout ou détruits eux aussi. Je réalise que je suis seul dans ces ruines au moment où je vois les premiers corps au sol. Coquilles vides aux yeux ternes et aux visages tous identiques car la mort n’a qu’un seul visage et il est vide, seul, monstrueux, même quand les corps sont étalés en pagaille, amoncelés sur les ruines et sous les ruines et dans les ruines et tous ces corps qui commencent à pourrir et à être dévorés par la végétation me donnent envie de vomir et de pleurer alors j’oublie que j’ai soif.
Tout à coup j’entends que tout est silencieux parce qu’il y a un bruit qui a brisé le silence, il venait de partout en même temps alors que la lumière rougeâtre vire vers l’orange et devient plus vive et je vois les ronces rétrécir et le lierre reculer, je vois autour de moi les ruines qui deviennent moins ruines, et alors je vois les corps se relever et ce ne sont plus des corps mais des comme-moi et la lumière c’est celle de leurs torches qu’ils tiennent à bout de bras pendant qu’ils dansent dans une longue procession qui passe dans toutes les rues.
Mais dans cette danse sous les torches, dans la ville à nouveau debout, je vois leurs yeux ternes et vides, je vois leurs bouches déformés dans des cris que je n’entends pas mais que je sens faire vibrer le sol et l’air autour de moi. Un partie de la procession se rapproche et je commence à reculer, je m’éloigne je fuis je cours mais la procession est partout et toutes m’observent avec leurs yeux vides, toutes les bouches hurlent silencieusement vers moi et quand je cours je n’avance pas et une main finit par se poser sur moi et me saisit et me serre et m’emmène dans la procession alors que je tremble, je pleurs, je voudrais me cacher mais toutes ces torches éclairent beaucoup trop et la végétation est partie et il n’y a plus d’ombre, plus de recoins, plus de cachettes.
Je suis le seul monstre vivant dans un groupe de monstres morts, mais ils continuent d’avancer en mouvements saccadés, comme une marée de marionnettes qui m’emporte dans leurs hurlements silencieux.
La lueur des torches devient encore plus vive et alors que je me dis que je crois revoir le ciel, un ciel de roche et de terre au-dessus de cette ville, d’un seul coup tous les cadavres dansants autour de moi balancent leurs torches au hasard dans toutes les directions. Je vois les flammes volantes décrire un arc de cercle qui me paraît sans fin, puis elles s’écrasent partout, sur les maisons les gens les rues et tout s’enflamme et tout s’embrase et moi je brûle, je hurle, je cours sans but, j’ouvre les yeux et j’ai soif.
Jour 7 :
Des Mégalithes – Noire nuit – Pluie – Maladie Physique – Égrégore – Humus/Marais – Exploration (Confirme la Certitude)
Ça pue. Mon nez se fronce avant que mes yeux ne voient d’où ça vient à travers la nuit. Ça pue la mort et la décomposition, ça pue la vase et la pourriture, ça pue la grenouille, l’humidité, l’eau sale, l’urine, le roseau moisi, la terre noyée à en crever, ça pue la puanteur d’un marais.
Je ne me souviens pas être déjà venu mais j’oublie parfois mais une puanteur pareil je n’oublierai pas c’est impossible mon nez s’en souviendrait parce que mon nez oublie beaucoup moins que moi. Ça pue, ici, ça pue plus fort que ma sueur ma peur mon odeur, ça pue plus fort que ma blessure purulente à la main, mes phalanges restantes tellement enflées par le pus les croûtes et le sang que je ne peux rien bouger et ça empeste tellement qu’en comparaison presque je n’ai pas mal mais ici le marais pue plus fort que ma main alors pour me rappeler ma main me fait mal à nouveau et j’ai l’impression qu’elle explose à chaque battement de mon cœur, j’ai l’impression qu’à chaque fois la peau et les croûtes pourraient céder et tout dégoulinerait le pus le sang la peau la chair même les os et alors je n’aurai plus mal parce qu’il n’y aurait plus nulle part où avoir mal.
Mais ma main puante reste douloureusement accrochée à mon bras et chaque battement de mon cœur est comme un coup de corne pile entre les doigts, comme la dernière fois où j’ai eu tellement mal que je ne me rappelle que de la douleur, je ne me rappelle même plus que c’est moi qui avait mal.
Tout ce temps, j’avance sans y penser, je ne peux pas penser par-dessus la douleur, j’avance sans y penser dans le marais où l’eau puante me remonte jusqu’aux genoux et mes pas sont lourds, lents, bruyants et ils remuent la boue qui pue encore plus fort. Je me rends compte que j’ai avancé seulement quand j’aperçois devant moi une grande pierre très lisse éclairée par les étoiles, tellement lisse que j’ai l’impression de voir à travers et j’ai l’impression que c’est fragile et je pourrais la casser juste en la touchant et j’ai l’impression aussi de me voir dedans mais je ne sais pas ce que je suis alors c’est peut-être quelqu’un d’autre que moi.
Soudain comme si la lune était sortie de derrière les nuages la surface de la pierre devant moi devient beaucoup plus claire et je vois qu’elle va jusqu’au sol, plutôt jusqu’à l’eau, où elle s’enfonce à la verticale et je vois aussi qu’elle est taillée en un rectangle pointu très très lisse et je ne me vois plus dedans mais la lumière se reflète autour et je vois très bien à travers ou alors je vois un reflet de là où je suis mais je n’y suis pas.
Toujours sans y penser et sans comprendre, je lève mon bras où est ma main blessée et le tends vers la surface et loin de moi, loin de moi la douleur, loin de moi la puanteur la pourriture la putréfaction et enfin ma main touche la surface lisse et je la vois dans la lumière, la lumière froide qui éclaire le cristal et ma main n’est pas sur le point d’exploser, il me manque juste des phalanges mais ma peau est de la couleur de la peau et le pus n’est pas là et les croûtes sont parties et la douleur a disparu.
Alors je me rapproche de la pierre taillée, je la touche de tout mon corps et sens son contact froid contre ma peau chaude et trempée et je me baigne dans la lumière en fermant les yeux et en remuant ma main et je sens que je n’ai plus mal et je remercie la surface du cristal de m’avoir guéri ou de m’avoir rappelé que j’étais guéri ou de m’avoir fait oublier que j’étais blessé. Mais alors sans savoir pourquoi, mes yeux s’ouvrent et je me vois à nouveau sur la surface de la pierre, baigné dans la lumière froide et cruelle.
Je vois mes poils de tête longs et emmêlés, je vois ma bouche béante indéfiniment sans un mot, je vois mes oreilles transpercées par des crocs et en lambeaux je vois ma peau couturée de cicatrices de furoncles et de plaies je vois mes membres rachitiques osseux anguleux trop grands trop maigres je vois mes dents mes crocs qui déchirent et déchiquettent et me nourrissent et je vois mes mains qui tuent qui étranglent qui broient qui assassinent qui détruisent mes mains de bêtes et de prédateurs.
Et je vois mes yeux. Mes yeux qui me voient en retour, minuscules au milieu de cernes mais brillants dans la lumière, brillant de cette lueur de compréhension de reconnaissance de cet instant d’intelligence où je vois que je me vois et je vois que ces yeux font partie de ce corps et ces yeux sont les miens donc ce corps c’est le mien, ces mains ces plaies ces os ces membres ces blessures sont les miennes et ça n’a plus rien d’humain. Ça n’a plus rien d’humain, ce corps n’a plus rien d’humain, je n’ai plus rien d’humain que ces yeux là pour me reconnaître et voir que je n’ai plus rien d’humain.
Jour 8 :
Tanière d’une Divinité Horla – Crépuscule – Brouillard – Manque causé par l’oubli – Ruine – Mousse – Introspection (Sérénité)
Je marche, je réponds à l’appel qui vient du cœur de la forêt qui est dans mon cœur, j’enjambe avec une assurance animale les ronces les racines les terriers, baignés dans la lumière violette du crépuscule. Je sens chaque fibre de mes muscles attirée par cet appel, résonant, répondant, me portant toujours dans une direction que j’ai oubliée mais dont mon corps se rappelle.
Le soleil se couche et le brouillard se lève, mais mon corps animal n’a pas besoin de mes yeux d’humain pour se repérer alors j’observe, je m’assoie spectateur dans moi-même et je regarde où je me porte avec tant de détermination.
Enfin émergent du brouillard des formes anguleuses, des structures bizarres et changeantes, qui disparaissent quand je m’en éloigne et que je ne touche pas alors que je le voudrais parce qu’elles pourraient peut-être me parler, me dire leur nom, me dire où je suis où je vais qu’est-ce qui m’appelle au-dedans du brouillard, mais mon corps continue sa route à travers ces formes et je me résigne à attendre.
Après un temps infini à marcher dans un brouillard perdant définitivement les dernières couleurs du jour et s’enveloppant dans la froide aube des étoiles, je sens mon corps ralentir et je vois devant moi une structure plus grande que les autres apparaître, qui paraît plus vieille parce qu’elle est couverte de mousse.
Alors je qui est un monstre lève lentement la main et touche la surface mousseuse et douce mais froide humide et cruelle, et je qui est humain sens tout à coup l’appel résonner tout entier dans mon cœur qui est dans la forêt. L’appel est doux mais terrible et murmuré mais assourdissant et attirant mais horrifiant et il est là. Je sens alors comme si plein de minuscules parties de mon corps ou de mon cœur ou des deux ou d’autre chose se levaient soudainement de là où elles font partie de moi et se mettent à danser en rythme avec la voix de l’appel dans une longue procession qui tourbillonne et chatouille tous mes membres et tout mon cœur comme des papillons ou des mouches qui s’envolent ensuite, sans retour, une par une, loin de moi.
Mes yeux humains pleurent des larmes que je ne comprends pas parce que ma mémoire humaine ne sait pas, ne sait plus ce qu’il se passe, je me concentre pour comprendre, j’observe je cherche et je réfléchis comme je ne l’ai pas fait depuis depuis depuis depuis depuis plus longtemps que ça encore, parce que j’ai vu mon reflet je m’y suis reconnu et je me suis rappelé que j’avais été humain que j’avais eu un nom que j’étais né j’avais grandi j’avais mangé pas toujours à ma faim mais j’avais mangé chaud et je me rappelle de tout ça mais je ne me rappelle pas du nom que j’avais ni de là où je suis né ni du visage avec qui j’ai grandi, ni du visage à la fleur qui me regarde en pleurant et en criant.
Alors enfin je comprends pourquoi mes yeux pleurent, parce que j’aperçois un de ces morceaux de moi qui est en train de me quitter et j’aperçois que c’est un souvenir, un souvenir que je qui est humain avait oublié et que je qui est un monstre avait gardé en nous précieusement. Je comprends que ces souvenirs étaient encore en moi mais que ces souvenirs s’étaient infectés, ils ont été cachés trop longtemps ils ont pourri ils ont moisi ils ont été bouffés par les rats du brouillard de la mémoire alors l’appel a résonné et nous sommes venus jusqu’ici pour nous débarrasser de toutes ces blessures mémorielles qui font mal et qui font peur.
J’observe impuissant mes souvenirs moisis être jetés à la poubelle de la mémoire et je perçois un instant ce qui émet l’appel ce vers quoi mes souvenirs vont ce qui les aspire les attire. Un humain avec des mains griffues des pieds de géant un grand sourire et les yeux écarquillés de terreur, une forme humaine que je vois danser avec mes souvenirs qui lui donnent envie de danser, sourire à mes souvenirs heureux, être apeuré par mes souvenirs de peur et griffer sauvagement et piétiner violemment mes souvenirs sauvages tandis que je regarde.
Alors enfin j’entends et je sens mon dernier souvenir s’enfuir vers cet être indéfini, je sens cet être le prendre dans sa main et le regarder avec terreur et lui sourire avec bienveillance et le caresser de ses griffes mortelles puis faire une pirouette en riant et me renvoyer le souvenir vers moi en hurlant.
Je reçois le souvenir, sain, entier, purifié de l’oubli et de la moisissure et il se blottit au fond de mon cœur comme un chat venant se lover au chaud. Alors le souvenir du visage à la fleur et les larmes, parce que c’est lui tout ce qui me reste, se met à ronronner en moi, chaud et rassurant.
Jour 9 :
Un Cimetière – Aube – Pluie – Faim – Emprise – Asticot/Larve/Chenille – Péripétie (Occasion de progresser → Ta quête est changée du tout au tout)
La lumière qui point à l’est chasse la nuit, pourchasse les ombres et mes doutes. Alors les ombres se cachent dans les recoins et mes doutes se cachent dans les ombres mais j’y vois clair et j’avance en me laissant porter par mon instinct humain. J’avance à grands pas entre les arbres, me tenant plus droit que je ne l’ai fait depuis longtemps, depuis que j’ai vu le visage à la fleur la dernière fois. J’avance droit en oubliant mes doutes en oubliant mes membres endoloris en oubliant mes cicatrices mal refermées en oubliant la faim qui creuse mon ventre.
J’entends le gargouillement d’un ruisseau dévalant la pente douce entre les arbres et les buissons et les fleurs et je le rejoins et je me penche doucement sur le ruisseau et je bois avec ma main valide et ma main blessée en coupe. L’eau est fraîche. Quand je relève les yeux je vois un petit tas de pierres entre les racines d’un arbre très vieux, un petit tas posé là pas par hasard et j’ai l’impression que je le connais alors je m’en approche, je l’observe, je le renifle, je le touche du bout des doigts, doucement, comme si j’avais peur qu’il disparaisse mais il fait jour alors je n’ai pas peur.
Sous ma main la pierre est tiède et j’ai un doute mais elle semble bouger alors je la saisis un peu plus et je sens bien qu’elle bouge, qu’elle remue, qu’elle se craquelle petit à petit. Alors je soulève la pierre et la laisse reposer sur ma paume ouverte de ma main valide et je la regarde attentivement pendant que des craquelures se dessinent comme un oeuf en train d’éclore.
J’observe, je sens que je devrais trouver tout ça étrange mais tout à l’air tellement plus rassurant dans la lumière du jour, je n’ai pas peur pendant que l’oeuf-pierre remue et émet des petits bruits de craquements, de chuintements. Un craquement plus fort annonce le fendillement de la surface de la pierre le long de toute la face supérieure, séparant cette surface en deux parties qui s’éloignent lentement l’une de l’autre comme deux couvercles, glissant sur le reste de la pierre qui remue aussi de plus en plus. Alors les deux moitiés de la surface de l’oeuf-pierre, s’ouvrant lentement, se déploient en deux ailes de pierre si fines que je vois à travers et quand je regarde le reste de la pierre je réalise que c’est un papillon de roche gros comme ma tête qui se tient dans ma main, libérant ses dernières pattes de la position recroquevillée, larvesque dans laquelle il était lorsqu’il était encore une pierre sur un tas de pierre.
Puis le papillon frémit, frétille, étend ses pattes et ses ailes et s’envolent, léger et gracieux comme s’il était pas beaucoup trop gros et né d’une pierre au contact d’un monstre. J’entends alors d’autres craquements et je vois que toutes les pierres du tas de pierres sont en train d’éclore et de s’étendre et de devenir des papillons de pierre et de s’envoler dans un frétillement de légèreté et de délicatesse.
Perdu dans la fascination je mets beaucoup de temps avant d’entendre ce qui approche derrière moi alors que ça n’essaie pas de se cacher et que ça ne m’a pas encore vu. Mais alors j’entends quelque chose marcher sur une feuille morte ou un brindille et je sursaute et j’ai peur et mon cœur bat fort et vite dans ma poitrine mes yeux cherchent où me cacher mais le jour, la lumière cruelle m’empêche de trouver un recoin sombre alors je me cache derrière le vieil arbre au tas d’oeufs-pierres qui n’est plus là et je regarde ce qui arrive en tremblant.
Un humain, non, deux, sont en train d’arriver vers le ruisseau, presque droit vers moi, vraiment droit vers moi, alors je me ratatine encore un peu et je les entends qui s’approchent puis qui s’arrêtent et qui parlent, je sais qu’ils parlent et qu’ils sont humains et je sais que ce sont des mots que j’entends parce que le souvenir du visage à la fleur et aux larmes me le dit mais je ne comprends pas ce qu’ils disent ni qui ils sont.
« Jo, le cairn, il est plus là ! » « Allons bon, qui est-ce qui a fait ça ? » « Je sais pas- Attends, tu as vu ça ? »
J’entends la surprise la peur dans leur voix alors j’ai peur parce que je me dis qu’ils m’ont vu et vont me trouver me chasser et me blesser, que peut-être c’est la Bête qui les envoie pour me tuer enfin.
« C’est toi qui a touché au cairn ? »
La créature me regarde et s’approche vers moi l’air terrifiant, menaçant, terrifié, je me recroqueville encore, tellement que mes genoux me rentrent dans les côtes mais je vois bien que c’est trop tard pour me cacher.
« Allez, montre-toi ! » « Mark, attends, on dirait… »
Alors je me tends, je serre les poings et je serre dans ma main une pierre alors quand la créature fait encore un pas vers moi je bondis sur mes pieds en lançant la pierre de toutes mes forces et je la vois voler à toute vitesse et atteindre le front les sourcils le nez et l’oeil de cette créature-humain et immédiatement elle chancelle, elle crie, elle saigne, des jets de sang partent de son visage et elle tombe en arrière vers le ruisseau alors je me jette sur l’autre créature qui tends ses griffes vers moi pour me menacer.
« Non, attends ! Mark… »
Je profite qu’elle tourne la tête vers l’autre pour lui sauter dessus la faire tomber à son tour, la griffer au visage au corps lui arracher les cheveux, la mordre aux joues à l’épaule au torse et elle se débat mais la douleur l’empêche de réagir et la peur me rend plus fort, alors je laboure de mes griffes ses yeux ses côtes ses cheveux puis je me penche et je la mords, plante mes crocs très fort dans son cou et je sens le sang chaud, salé, qui jaillit tout de suite à travers la peau sans poil dans ma bouche et mes yeux et la créature pousse un cri terrifiant, monstrueux et je me relève et je la regarde gigoter, se vider de son sang qui jaillit qui s’écoule qui rougit le sol le ruisseau les buissons les fleurs, à chaque battement du cœur déjà presque vide je vois la mare de sang s’épaissir et grandir et les yeux, les yeux de la créature me fixent et m’observent et me voient et avant de mourir j’ai l’impression qu’ils me reconnaissent parce que la créature essaie de faire du bruit avec sa bouche mais n’y parvient pas et elle se secoue encore un peu et je la regarde mourir, mourir, mourir, j’attends le moment j’attends le souvenir j’attends de comprendre parce que c’est la première fois que je tue une créature-humain alors je veux voir son souvenir.
Je regarde la créature mourir et j’ai faim, j’ai faim du goût de son sang et j’ai faim de sa chair et j’ai faim de son souvenir alors quand enfin son cœur s’arrête et le flot de sang qui s’étend jusqu’au ruisseau cesse de grandir, je ferme les yeux pour mieux voir.
Et alors je vois. Je me vois. Moi qui suis humain. Je me vois c’est moi, moi qui suis humain la créature-humain me connaissait et m’avait vu, comme le bébé cerf mais là c’est moi qui suis un bébé dans le souvenir et d’un coup le souvenir s’arrête en me laissant m’effondrer au bord de l’inconscience, tremblant du contrecoup du souvenir de ce que j’y ai vu de ce que j’y étais.
Je reprends conscience quand j’entends une vois au loin. La voix du visage à fleur. Je la reconnais et je sens mon cœur sur le point de s’arrêter tellement le souvenir est douloureux quand il s’éveille, mais la peur reprend le dessus et j’entends la voix qui appelle à nouveau. Je vois le cadavre de ma mère devant moi et mon père en train de reprendre conscience dans le ruisseau mais encore complètement sonné alors avant qu’il ne soit trop tard avant que le visage ne puisse à nouveau me voir et pleurer et hurler je pars je fuis je veux disparaître et ne jamais revenir ne jamais revenir jamais revenir.
FIN
Fiche de Personnage
Destin fatal : Je tuerai mes parents, ou ils me tueront
**Chasser : **Je chasse les souvenirs, le passé, la Bête et la nourriture
Se faire chasser : La Bête est toujours à mes trousses
Question : Qui suis-je ?
Certitude : Je suis un monstre
Croyance : J’ai été humain, autrefois
Vertu : J’ai peur
Vice : J’ai faim
**Souvenir qui hante : **Le visage de
Symboles : Noir/Ombre - Griffes/Crocs
Quête : Je ne veux plus être moi
Comments
No comments yet. Be the first to react!